PIERRE LE MIGRANT

Tome 3 : Olga de Perugia

Danielle Baudot Laksine

Dessins de Danielle Baudot Laksine

Quelques extraits :


Le paysan, maintenant, il est déconsidéré. Y a des gens que si le petit il est pas trop dégourdi à l'école, allez zou, ils disent, il fera le paysan ! Ils ont rien compris... C'est les plus intelligents qu'il faut donner à la Terre pourquoi le mauvais médecin,avec tous les couillons de maintenant il se gagne la vie tout de même, mais un mauvais paysan, déjà que pour un bon c'est pas facile, il mange pas.

Nous, si on se couche à neuf heures c'est tôt et à quatre heures, faï tira... On fait ce qu'on peut pour gagner nos quatre sous que maintenant y en a que si le travail est là, eux ils passent là-bas . On dirait que de travailler y charrient une montagne !

Maintenant, les gosses, ils vont juste à l'école et après ils s'amusent qu'avant, à cinq six ans ils travaillaient déjà dur. Chez eusses, s'ils rapportaient rien ils recevaient moins à manger. La mère, au lieu de un demi pain elle y en donnait le quart...

Demain, si tu travailles, tu en auras de plus ! Et le demain, qu'y soleille ou qu'y soleille pas, le gosse partait se louer à la place...

Mes parents allaient pas trop d'accord. C'étaient des gens plutôt noirs. Mon père, je le savais bon comme le pain et il nous faisait pas peur. Les autres pères, leurs enfants les craignaient comme Monsieur le curé, le médecin et l'instituteur.

Et alors, comme le soleil perce d'entre les nuages, d'un coup je la comprends, ma vie, d'un coup il me vient le savoir de mon vrai don, et les larmes me coulent seules, et la joie me noie le cœur, et mes mains attrapent vite celles d'une vieille, qui me les serre, me les embrasse...

Ah, enfin, enfin, mon Dieu, enfin je ferai mon don...

C’est tout des mangia-magre et bois-que-d’eau qui contrarient la nature... Qué tristesse... La nature, y faut la laisser pousser comme ça vient! Ces femmes, sur leurs os, les mains de leur maris doivent guère se contenter !
Et pourtant, on dirait qu’au moins elles ont de viande et au plus elles la montrent ; elles se rendent pas compte que de tant faire voir, eh bien ça encourage pas de toucher. Les femmes de dans le temps, elles avaient encore la honte, et leurs maris, des fois ils mouraient qu’ils les avaient jamais vues qu’en chemise. Les hommes qui voulaient voir des femmes toutes nues, eh bien y fallait qu’ils aillent aux putanes, mais leurs femmes à eusses, même si elles rentraient dans le lit que la chandelle mouchée, allez, leurs mains savaient bien la regarder et dire comme elles leur plaisaient. Bien au chaud sous la couverture, les hommes aimaient leur femme douce et grasse, avec des belles hanches larges, un ventre confortable et des beaux gros tétons...

Les hommes de Vallauris, disait Tante aux filles, méfiez vous-en des hommes de Vallauris. Et de rire...
— Pardi, ils sont réputés pour être comme leurs pignates : quand ils se cassent, c’est souvent par le cul !

Il s’en foutait, Jacoulino, d’entendre les blagues de Joseph, Marius ou Séraphin, tous trop jeunes pour avoir vescu la guerre, mais eux, ses copains de souffrance, de nuit comme de jour il les écoutait, il leur parlait, il continuerait jusqu’à sa mort à lui de souffrir encore avec eux et les autres, tous les autres qui pouvaient rien y comprendre, ils resteraient pour toujours de l’autre côté.

Mais vides, vides, ils sont vides mes tétons, et à quoi ça sert qu’ils soient si gros s’ils sont inutiles et vide vide vide aussi ce vendre maudit, ce ventre emmasqué, empoisonné, séché et alors je frappe n’importe où, je viens folle, je tape mes seins, mon ventre à grands coups de poings, ce ventre qui sait pas faire un petit, ce ventre qui saigne tranquillement chaque mois tout le sang de mon cœur et s’en fout que je souffre de pas le voir souffrir en s’ouvrant pour laisser sortir un enfant, mon enfant...

Donne-moi de ta force, olivier... Et je sentais comme de sa sève rentrer dans mon sang, circuler dans mes veines... Et je me frottais la figure, le corps contre son écorce s’il te plaît, s’il te plaît donne moi de ta résistance, toi que les coups, les brûlures, le froid, la hache, toi que rien il peut jamais faire périr complètement ! Et j’ai arraché et éclaté avec les dents, malgré l’amer qui m’envahissait la bouche, une de ses olives encore vertes, donne-moi tes fruits, olivier...